PARIS (AFP) - Analystes et enquêteurs tentaient toujours de comprendre vendredi comment un trader isolé a pu faire perdre à lui seul 5 milliards d'euros à la Société Générale, une des trois principales banques françaises, dans une "fraude" sans équivalent.
Les autorités françaises, le président Nicolas Sarkozy en tête, se sont employées de leur côté à rassurer les millions de clients de la Société Générale et la communauté internationale sur la "fiabilité du système financier français".
Le Premier ministre François Fillon a réclamé au ministère de l'Economie un rapport "sous huit jours" pour tenter de lever les nombreuses zones d'ombre entourant cette affaire.
La Société Générale a stupéfié le monde de la finance en annonçant jeudi des pertes de 7 milliards d'euros, dont 2 milliards liés à la crise des "subprimes" aux Etats-Unis et surtout 4,9 milliards provoqués par un trader isolé.
Celui-ci aurait réussi à déjouer l'ensemble des systèmes de contrôle de la banque pour dissimuler des transactions portant sur plusieurs dizaines de milliards d'euros.
Ce trader de 31 ans, Jérôme Kerviel, employé par la banque depuis 2000, a été désigné comme l'unique responsable de cette "fraude", la plus grosse de ce type dans l'histoire de la finance mondiale. Il a été mis à pied et une plainte a été déposée contre lui, même s'il ne semble pas s'être enrichi personnellement.
Son avocate, Me Elisabeth Meyer, a assuré jeudi soir que le jeune homme "n'a pas pris la fuite" et qu'il était "à la disposition de la justice".
Sur le plan judiciaire, une enquête préliminaire confiée à la brigade financière a été ouverte mais le parquet de Paris a souligné vendredi qu'il était "prématuré de tirer une quelconque conclusion".
"L'affaire s'annonce d'une très grande complexité", a expliqué le parquet, en relevant que de nombreuses auditions, expertises informatiques et confrontations seraient nécessaires.
Certains experts ont exprimé leur scepticisme sur le fait qu'un seul homme ait pu causer un préjudice d'une telle ampleur, une interrogation largement relayée par la presse.
"Les mystères d'une fraude à cinq milliards", titrait vendredi le quotidien économique La Tribune, en reprenant les questions que beaucoup d'analystes se posent: "comment une banque de ce calibre, vantée pour son expérience des activités de marché, a-t-elle pu en arriver à cette infortune? Pourquoi a-t-il fallu autant de temps pour découvrir l'étendue des dégâts?"
L'université de Lyon (centre-est), où Jérôme Kerviel avait décroché un master d'opérations de marché avec une mention "assez mention", l'a décrit comme un étudiant ordinaire et sans éclat particulier. Loin du "génie informatique" évoqué par la Société Générale pour expliquer comment il avait réussi à déjouer les procédures de contrôle.
La classe politique, tous bords confondus, a multiplié les appels à plus de "transparence". L'opposition socialiste a vu dans cette affaire un "symbole de l'argent fou".
Selon la presse américaine, la Société Générale a pu contribuer à la chute mondiale des marchés au début de cette semaine, en liquidant secrètement les positions trop risquées de son trader.
En visite en Inde, le président Nicolas Sarkozy a évoqué "un problème interne" à la Société Générale "qui ne touche pas la solidité ni la fiabilité du système financier français".
Mais un de ses proches conseillers, Raymond Soubie, a jugé "très étonnant qu'une seule personne" ait pu miser autant d'argent sur les marchés.
Le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, est lui aussi monté au créneau pour assurer que "le système bancaire français est parfaitement sain". Il s'est déclaré "certain" que la banque n'avait pas cherché à déguiser des pertes liées à la crise des "subprimes", comme l'ont suggéré certains analystes.
A la bourse de Paris, l'action Société Générale était en hausse de près de 2% en milieu de journée. Cette hausse a été alimentée par des commentaires d'analystes financiers sur une possible tentative de rachat de la banque par une de ses concurrentes, la Société Générale étant une proie attirante puisqu'elle a perdu plus de 40% de sa valeur boursière en un an.